Pouvez-vous nous parler de votre parcours et nous expliquer comment vous êtes arrivée à la tête de la Swiss Food & Nutrition Valley ?
En fait, je pense que c’est toute ma carrière qui m’a menée jusqu’ici ! Je suis originaire du Danemark ; j'ai étudié l'ingénierie alimentaire et obtenu un master en études alimentaires européennes à l'université de Wageningen, aux Pays-Bas. Ma carrière a débuté en entreprise, chez Mondelez International, où j'ai travaillé pendant 12 ans dans des fonctions allant de la R&D au management de l'innovation, en passant par la stratégie et le marketing. Par la suite, je me suis d’abord engagée auprès de start-ups FoodTech via Kickstart Innovation, un programme basé à Zurich qui a pour objectif de mettre en relation des entreprises et des start-ups du monde entier. J'y ai dirigé la branche "Food & Retail". Cette expérience m'a fait découvrir le côté "start-up" du secteur, après en avoir vu tant d'autres facettes – j’avais également travaillé dans un centre de recherche en Australie, appartenu à un corps diplomatique à Tokyo et remplacé un professeur de chimie. C'est pendant mon passage chez Kickstart Innovation que j'ai pensé : « Ne serait-il pas incroyable d'unir toutes ces forces d'innovation dans l'alimentation et de réaliser quelque chose de plus grand ? ». Et deux ans plus tard, je recevais l'appel me demandant de diriger la Swiss Food & Nutrition Valley.
“Nous devons construire un écosystème uni pour révéler tout le potentiel des start-ups.”
Maintenant que vous êtes en poste depuis quelques mois, quelle vision avez-vous de cette initiative ?
J'ai passé mes deux premiers mois ici à rencontrer les parties prenantes et à cartographier l’écosystème de la FoodTech, ce qui m'a permis de confirmer que la Suisse a déjà beaucoup à offrir. Toutefois, il y a un message important que je tiens à transmettre : nous avons tendance à mettre les startups sur un piédestal et nous oublions facilement qu'elles n'existent pas dans le vide : c’est tout un écosystème qui les entoure et favorise leur succès. Les start-ups auraient un parcours très long et très laborieux si nous n'avions pas des universités pour éveiller l'esprit entrepreneurial des ingénieurs et leur transmettre des connaissances scientifiques, des investisseurs pour prendre des risques et financer leurs idées, des industriels pour s'associer à eux et leur fournir de l'envergure et des ressources, toute une communauté de mentors et d'experts pour les conseiller, des initiatives gouvernementales locales – comme Innovaud – pour soutenir leurs efforts d'innovation, et des accélérateurs pour les soutenir. À mes yeux, la Swiss Food & Nutrition Valley joue donc un rôle fédérateur. L'idée n'est pas de créer un autre fonds ou incubateur de start-ups, mais plutôt de permettre aux jeunes entreprises d'ici et aux talents étrangers de s'orienter plus facilement dans l'écosystème suisse de la Food & Nutrition. Il est vrai que les start-ups, l'entrepreneuriat et l'intrapreneuriat sont les clés d'un monde plus durable. Mais nous devons construire un écosystème uni pour libérer tout leur potentiel, de sorte à faire émerger plus vite et mieux les innovations alimentaires qui ont un impact.
De quelle manière comptez-vous procéder pour atteindre cet objectif ?
Nous avons déjà identifié cinq plateformes d'impact : les Emballages Durables, les Protéines Durables, l'Agriculture de Précision, la Nutrition de Précision et les Systèmes Alimentaires 4.0. Nous avons décidé de commencer par la Nutrition de Précision cet automne. Nous prévoyons de former des groupes de travail avec tous les segments de parties prenantes pour susciter l'innovation par la collaboration. Par exemple, une entreprise peut avoir imaginé une solution pour résoudre un problème de nutrition animale, mais ne pas disposer des outils ou de l'expertise scientifique nécessaires pour aller plus loin. Nous pouvons alors la mettre en relation avec une jeune entreprise travaillant dans ce domaine, ainsi qu'avec un acheteur pour que la R&D soit adaptée au marché.
L'heure est à l'innovation ouverte et collaborative. Il y a dix ans à peine, les start-ups – qui sont souvent animées par un but précis – étaient dans un camp différent de celui des entreprises, qui sont généralement axées sur le profit. Aujourd'hui, objectif et profit vont de pair, et les start-ups comme les entreprises sont des acteurs importants du secteur des FoodTech, elles font progresser l'innovation. Elles se rencontrent sur un pied d'égalité et réalisent qu'en travaillant ensemble, elles sont toutes deux gagnantes, et notre planète aussi. Cette évolution est due en grande partie à la demande des consommateurs, bien que les investisseurs jouent également un rôle en recherchant de plus en plus à investir dans des projets à impact. Les gens en général veulent être une source de bien et faire partie du changement.
“L'Agropôle est un acteur important de l'écosystème FoodTech en Suisse.”
Quel rôle l'Agropôle jouera-t-il dans vos efforts ?
À mon sens, chaque acteur de l'écosystème FoodTech suisse est une pièce d'un puzzle qui, une fois assemblé, crée une image remarquable. Et l’Agropôle est une pièce importante de ce puzzle. Ce que j'ai appris récemment, c'est que certains des talentueux entrepreneurs suisses de la FoodTech quittent le pays pour développer leurs idées entrepreneuriales ailleurs. La raison en est qu'ils ne trouvent pas ici les ressources dont ils ont besoin. Lorsqu'ils atteignent une certaine échelle dans le développement de leur entreprise, ils ont du mal à trouver les installations pilotes, l'expertise et le soutien gouvernemental dont ils ont besoin. C'est là qu'intervient l'Agropôle. Il nous aidera à combler cette lacune en nous fournissant des infrastructures et des équipements pour tester les nouvelles technologies et voir comment elles peuvent être déployées pour l'ensemble de l'industrie. Je me réjouis vivement de travailler plus étroitement avec l'Agropôle et de réfléchir à la manière dont nous pouvons mieux valoriser ses installations et son savoir-faire, et faire connaître le nom de l'Agropôle aux start-ups et aux PME en Suisse et à l’international.
"Le canton de Vaud est très fort en innovation. Il abrite l'EPFL et l'EHL, des start-ups et des poids-lourds du domaine de la FoodTech"
En considérant plus largement le canton de Vaud, comment le décririez-vous en tant que lieu d'innovation dans les FoodTech ?
La Swiss Food & Nutrition Valley est une initiative nationale, ma vision se situe donc plutôt au niveau fédéral. Cependant, je constate que deux cantons, Fribourg et Vaud, se distinguent dans le paysage FoodTech. Le canton de Vaud est extrêmement fort en matière d'innovation : il abrite l'EPFL et l'EHL – qui ont donné naissance à de nombreuses start-ups FoodTech de premier plan – ainsi que de nombreuses initiatives comme Mass Challenge. C'est aussi le siège de géants de l'industrie alimentaire comme Nestlé. J'espère que les efforts déployés et les résultats obtenus par le canton de Vaud inspireront d'autres cantons à s'engager et à être plus actifs dans la sphère de la FoodTech. On pourrait imaginer qu'un canton se concentre davantage sur l'agriculture, un autre sur la robotique et un autre encore sur la biotechnologie, par exemple. Mais notre objectif primordial est de faire connaître la Suisse dans son ensemble. On ne peut pas s'imposer sur la scène internationale en représentant un seul canton. Il faut que l'on puisse dire : « Notre pays a tout cela à offrir, vous devriez venir nous voir et nous parler ! ».
“Je pense que nous aurons érigé la Suisse en nation FoodTech pour le monde entier.”
Comment voyez-vous la Swiss Food & Nutrition Valley dans un, cinq et dix ans ?
Cette première année consiste à réunir les acteurs du changement dans l'industrie alimentaire suisse, à cartographier les différents segments du paysage et à définir le cap. D'ici cinq ans, je pense que nous aurons érigé la Suisse en nation FoodTech pour le monde entier. Ce pays dispose d'une multitude de ressources : des universités de premier plan, des investisseurs, des accélérateurs de start-ups, des sociétés et des PME bien implantées et solides, des cantons dynamiques et une communauté de start-ups florissante. Nous avons ici une opportunité formidable, mais cette opportunité s'accompagne également d'une obligation : nous ne pouvons pas nous contenter de n’agir que pour rendre la Suisse plus durable, nous devons aussi tirer parti de ces ressources pour répondre aux enjeux de durabilité à l'échelle mondiale.
D'ici dix ans, j'espère que nous aurons résolu au moins quelques-uns des défis les plus pressants en matière d'alimentation et de nutrition. L'objectif ultime auquel nous et tous nos membres souscrivons est de stimuler l'innovation dans le domaine des technologies alimentaires afin de lutter contre le changement climatique et la crise de santé publique résultant d'une mauvaise alimentation. Et nous le faisons avec la conviction qu'en nous unissant à travers notre collaboration, nous pouvons aller mieux, plus vite et plus loin en faveur d'une planète plus propre et d'une meilleure santé humaine.